
Un bouc émissaire nommé «cellulaire»
Alors que le gouvernement du Québec confirme sa volonté d’interdire les téléphones cellulaires dans l’ensemble des écoles dès l’automne prochain, l’Association québécoise des utilisateurs d’outils technologiques à des fins pédagogiques et sociales (AQUOPS) tire la sonnette d’alarme.
Ce n’est pas en bannissant un outil qu’on apprend à s’en servir. En interdisant les cellulaires à l’école, on choisit de contourner une occasion éducative précieuse: celle d’accompagner les jeunes dans le développement d’un usage réfléchi, modéré et responsable de cette technologie. Cette orientation soulève une question de fond: voulons-nous former des citoyennes et citoyens outillés pour naviguer dans un monde numérique, ou simplement remettre une difficulté à plus tard? Car si les ados entretiennent parfois une relation jugée excessive avec leur cellulaire, cela reflète aussi les usages des adultes qui les entourent. Ce choix de l’interdire semble donc davantage refléter un inconfort face à une technologie dont l’intégration en milieu scolaire demeure complexe.
Au lieu d’éduquer, on blâme. Au lieu d’accompagner, on interdit. Ce faisant, on prive aussi les élèves des usages pédagogiques d’un outil qui permet, entre autres, de capter des images lors d’activités extérieures, de consulter un agenda numérique, de visiter des musées virtuels ou de répondre à des questions interactives en classe.
L’école, un sanctuaire déconnecté? Vraiment?L’idée semble rassurante. Moins de téléphones, plus de concentration. Moins d’écrans, plus d’humains. L’équation est facile et l’illusion, commode. Toutefois, cette vision repose sur une représentation idéalisée du passé et non sur celle d’une école ancrée dans le 21e siècle. Or, les défis liés à l’attention, à la socialisation et au climat scolaire ne datent pas d’hier.
Les technologies émergentes sont régulièrement pointées du doigt par les générations précédentes. Cela n’a aucune conséquence sur le progrès qui continue sa course ni sur les causes profondes des enjeux soulevés.
Le fait est que les jeunes vivent dans un monde numérique. Ils y apprennent, s’y expriment, s’y construisent. Écarter entièrement ces usages du cadre scolaire risque d’accentuer le fossé entre leurs expériences quotidiennes et les pratiques éducatives, compromettant ainsi la pertinence et l’ancrage de l’école dans leur monde.
Pourtant, c’est précisément à l’école que cette culture numérique devrait s’apprendre. Entre autres, grâce à une éducation solide à la citoyenneté numérique, à la gestion de l’attention, à la protection des données, au fonctionnement des algorithmes et des plateformes qui les sollicitent. Bref, pas en fermant la porte. En l’ouvrant avec lucidité.
L’interdiction comme solution miracle: un mythe
L’interdiction générale des cellulaires à l’école ne fera pas apparaître un intérêt soudain pour Pythagore. Elle n’améliorera pas non plus la qualité des relations entre les élèves. Il s’agit d’un artifice qui permet de courtiser l’opinion publique sans s’attaquer aux vrais défis: un climat scolaire fragile, un manque criant de ressources, des écoles qui tombent en ruine et un système qui ne parvient plus à encaisser les coupes budgétaires. L'école du 21e siècle est en redéfinition constante selon les défis locaux des établissements.
Le cellulaire n’est pas responsable du désengagement scolaire. Il en est parfois le symptôme. En centrant le débat sur cet outil, le gouvernement détourne l’attention d’un bilan plus large à dresser sur l’état du système éducatif et sur les choix structurels qui en influencent la vitalité.
Le danger de la solution mur à mur, c’est qu’elle ne tient pas compte de la spécificité des milieux, des projets, des besoins ou même de l’expertise locale. Ce réflexe de centralisation prive les établissements de la souplesse nécessaire pour adapter leurs pratiques à leurs élèves et à leurs équipes. Plutôt que d’imposer une seule recette pour tout le monde, pourquoi ne pas reconnaître la capacité des milieux à faire des choix éclairés?
Éduquer, pas interdire
Le rôle de l’école, c’est d’outiller les élèves pour comprendre la réalité dans laquelle ils évoluent. Et cette réalité est, du moins en partie, numérique.
Nous préférons encourager la prise de responsabilités avec une démarche éducative qui implique tout le monde: enseignants, parents, intervenants. Parce que le cadre numérique dans lequel grandissent les jeunes ne doit pas être laissé au hasard ni peser seulement sur les épaules des parents.
Ce qu’il faut, ce sont des balises claires, des ressources concrètes, de la formation, du temps, et surtout de la confiance envers les milieux. L’école a un rôle essentiel à jouer dans le développement de la compétence numérique. Cela veut dire parler d’algorithmes, de sécurité, de gestion de l’attention, de confidentialité, de respect de la vie privée, de droit d'auteur. Apprendre à repérer les pièges, à choisir, à ralentir.
Tout ça, on ne l’apprend pas en confisquant ou en restreignant. On l’apprend avec le soutien et l’ouverture d’une communauté informée et engagée, capable d’accompagner.
Pour écouter l'entrevue - QUB Radio « Laissons chaque prof décider pour les téléphones en classe » Voir